L’isolement Carcéral aux États-Unis: Les Faits
Qu’est-ce que l’isolement carcéral?
L’isolement carcéral est la pratique consistant à isoler des personnes dans des cellules fermées pendant 22 à 24 heures par jour, pratiquement sans contact humain, pendant des périodes allant de quelques jours à des décennies.
Comme l’a déclaré Craig Haney, professeur de psychologie à l’Université de Santa Cruz : “Pour des raisons peut-être évidentes, l’isolement total et absolu – littéralement avec absence totale de toute forme de contact humain – n’existe pas en prison et n’a jamais existé. Le terme est plutôt généralement utilisé pour désigner des conditions d’isolement extrême (mais pas total) des autres”.
Peu de systèmes pénitentiaires utilisent le terme « isolement carcéral », se référant plutôt à la « ségrégation » carcérale ou au placement dans une « cellule restrictive ». Certains systèmes font une distinction entre divers motifs d’isolement carcéral.
L’ « isolement disciplinaire » ou « isolement punitif » est le temps passé à l’isolement en guise de punition pour avoir enfreint les règles de la prison, et dure généralement de plusieurs semaines à plusieurs années. L'”isolement administratif” repose sur un système de classification plutôt que sur un comportement réel et constitue souvent un placement permanent ou indéfini, s’étendant sur des années ou des décennies. La « détention préventive involontaire » est particulièrement courante chez les enfants détenus dans des prisons pour adultes, les personnes LGBTQ et d’autres populations vulnérables qui sont prétendument placées en isolement pour leur propre sécurité. Quelle que soit la terminologie, la pratique implique un effort délibéré pour limiter les contacts sociaux pendant une période de temps déterminée ou indéterminée.
Les endroits où les gens sont détenus à l’isolement portent également des noms différents. En Californie, les unités d’isolement à long terme sont appelées Security Housing Units (SHU – Unités de cellules de sécurité); à New York, le même acronyme signifie Special Housing Units (SHU – Unités de logement spécial). Dans l’Oregon, les unités d’isolement à long terme sont appelées Intensive Management Units (IMU – Unités de gestion intensive), tandis qu’en Pennsylvanie, ce sont des Restricted Housing Units (RHU – Unités de logement restreint). Dans le système fédéral, un type d’isolement carcéral a lieu dans les Special Management Units (SMU – Unités de gestion spéciale) et un autre dans les Communication Management Units (CMU – Unités de gestion des communications). Ce que tous ont en commun, ce sont des conditions d’isolement extrême et de privation sensorielle dans un petit espace confiné, seuls ou, plus rarement, avec un compagnon de cellule.
La plupart des prisons aux États-Unis comportent une unité d’isolement, et la plupart des prisons locales ont des cellules où les gens sont détenus à l’isolement. De plus, certaines personnes incarcérées sont détenues en isolement dans des prisons spéciales «supermax», telles que Pelican Bay en Californie, Red Onion en Virginie et la prison du gouvernement fédéral ADX à Florence, Colorado. Au moins 44 États ainsi que l’Etat fédéral disposent désormais de prisons supermax, qui sont généralement composées uniquement de cellules d’isolement.
Combien de personnes sont détenues à l’isolement?
Le nombre de personnes détenues à l’isolement aux États-Unis est de toute évidence difficile à déterminer. Le manque d’informations fiables est dû aux lacunes d’un État à l’autre et aux divergences dans la manière de collecter les données et dans les conceptions de l’isolement carcéral. Selon les estimations actuellement disponibles au moins 80 000 hommes, femmes et enfants incarcérés sont détenus chaque jour dans l’une ou l’autre forme d’isolement.
Un rapport du “Bureau of Justice Statistics” (BJS – Bureau de statistiques judiciaires) a révélé qu’en 2012, près de 20 % des personnes incarcérées dans les prisons fédérales et d’Etat et 18 % des personnes détenues dans les prisons locales avaient passé du temps en isolement carcéral. Au cours d’une journée moyenne, 4,4 % des personnes incarcérées dans les prisons étatiques et 2,7 % des personnes incarcérées dans les prisons locales se sont trouvées dans des cellules restrictives, ces chiffres incluent l’isolement disciplinaire et administratif. Sur la base des statistiques démographiques de 2012 pour les prisons d’État et fédérales et les prisons locales, les calculs montrent qu’en moyenne en 2012, 89199 personnes étaient détenues à l’isolement : 69097 dans les prisons d’État et fédérales et 20102 dans les prisons locales. Environ 448000 personnes ont été détenues à l’isolement à un moment donné au cours des douze mois précédents. Ces chiffres, contrairement à beaucoup d’autres, incluent les prisons locales. Mais ils n’incluent aucun centre de détention pour mineurs, pour migrants ou militaires.
Des chiffres plus récents recueillis et publiés par le Centre Liman de l’Université de Yale en partenariat avec l’Association d’Administrateurs Correctionnels de l’Etat (Association of State Correctional Administrators) suggèrent une certaine baisse du nombre de personnes détenues à l’isolement, reflétant des efforts généralisés au niveau de la défense et la mise en œuvre de réformes dans certains États. Une enquête menée fin 2015 a révélé qu’environ 68000 personnes se sont trouvées dans des cellules restrictives. Fin 2017, le nombre était de 61000. Cependant, ces chiffres n’incluent pas les personnes détenues à l’isolement pendant moins de quinze jours (ni celles dans les prisons locales ou d’autres types de prison), ils n’offrent donc aucun point de comparaison précis avec les chiffres recueillis par le BJS.
Des enquêtes antérieures menées par le BJS montrent les tendances de l’utilisation de l’isolement carcéral au fil du temps. Un recensement des prisons fédérales et d’État (sans les prisons locales) effectué en 2005 a révélé que 81622 personnes étaient détenues dans des cellules restrictives. Le recensement de 2000 du BJS sur les mêmes établissements indique 80870 personnes en cellules restrictives, dont 36499 en isolement préventif, 33586 en isolement disciplinaire et 10765 en détention préventive. Les chiffres de 2000 représentaient une augmentation de 40% par rapport à 1995, où 57591 personnes étaient détenues en cellules restrictives. (Au cours de la même période, la population carcérale globale a augmenté de 28 %). De plus, une étude largement acceptée de 2005 a révélé qu’environ 25000 des personnes vivant dans des cellules restrictives étaient détenues à l’isolement à long terme dans des prisons supermax à travers tout le pays.
Tous les chiffres de ces enquêtes et rapports ont été publiés par les services correctionnels fédéraux, étatiques et locaux eux-mêmes, sans processus de vérification indépendante.
Qui est mis à l’isolement?
Loin d’être une mesure de dernier recours réservée aux « pires des pires », l’isolement carcéral est devenu une stratégie de contrôle de premier recours dans de nombreuses prisons et centres de détention.
Aujourd’hui, les hommes et les femmes incarcérés peuvent être placés en isolement complet non seulement pour des actes de violence, mais aussi pour possession de substances de contrebande, tests positifs à la consommation de drogue, désobéissance aux ordres, blasphèmes ou insultes. D’autres se sont retrouvés en isolement parce qu’ils souffrent de maladies mentales non traitées, parce qu’ils sont des enfants ayant besoin de «protection», homosexuels, transgenres ou musulmans, parce qu’ils ont des convictions politiques impopulaires, parce qu’ils ont été identifiés par d’autres comme membres de gangs, ou parce qu’ils signalaient un viol ou des abus par des agents pénitentiaires. Des études récentes ont montré que les personnes de couleur sont encore plus surreprésentées en isolement qu’elles ne le sont dans la population carcérale en général, et reçoivent des peines d’isolement plus longues que les Blancs pour les mêmes infractions disciplinaires.
Les individus sont envoyés à l’isolement sur la base d’accusations qui sont portées, jugées et appliquées par les responsables de la prison avec peu ou pas de contrôle extérieur. De nombreux systèmes carcéraux disposent d’un processus d’audience, mais ceux-ci restent souvent superficiels. Le personnel pénitentiaire fait office de procureur, de juge et de jury, et il n’y a pas d’avocat de la défense. Sans surprise, les accusés sont presque toujours reconnus coupables.
Quelles sont les conditions de l’isolement?
Pour ceux qui la subissent, la vie à l’isolement signifie vivre 23 à 24 heures sur 24 dans une cellule. Les personnes détenues en isolement disciplinaire dans les prisons fédérales, par exemple, passent généralement deux jours par semaine en isolement total et 23 heures par jour dans leurs cellules pendant les cinq autre jours, lorsqu’on leur accorde une heure d’exercice. L’exercice se déroule généralement seul dans une salle d’exercice ou dans une aire d’exercice pour chiens, clôturée ou entourée de murs. Certaines personnes en isolement sont escortées, généralement enchaînées, jusqu’à la douche, d’autres ont des douches dans leurs cellules. Ils peuvent ou non être autorisés à quitter leur cellule pour des visites ou pour passer des appels téléphoniques.
Les cellules d’isolement mesurent généralement de 1,80m sur 2,70m à 2,40m sur 3m. Certaines ont des barreaux, mais la plupart ont de lourdes portes en métal. Les repas sont passés généralement par des fentes dans les portes, et toute communication avec le personnel pénitentiaire se fait par les mêmes fentes. Dans ces cellules, les gens vivent une vie d’inactivité forcée, se voient refuser la possibilité de travailler ou d’assister à des programmes carcéraux, et parfois d’avoir des radios, du matériel artistique et même de la lecture dans leurs cellules.
Les personnes détenues à la prison d’État de Pelican Bay, dans le nord de la Californie, ont été décrites comme vivant dans une “petite cellule de prison en ciment. Tout est en béton gris : le lit, les murs, le tabouret fixé au sol. Tout, sauf le lavabo et les toilettes en acier inoxydable… Vous ne pouvez pas bouger de plus de deux mètres dans une direction.”
Thomas Silverstein, qui a été détenu dans le système fédéral avec interdiction de tout contact humain pendant 35 ans, a décrit ainsi son environnement dans une prison : “J’étais non seulement isolé, mais aussi désorienté… Cela était exacerbé par le fait que je n’étais pas autorisé à avoir une montre ou une horloge. De plus, les lumières artificielles et brillantes restaient constamment allumées dans la cellule, ce qui augmentait ma désorientation et rendait le sommeil difficile. Non seulement elles étaient constamment allumées, mais ces lumières bourdonnaient sans cesse. Le bourdonnement était exaspérant, car il n’y avait souvent aucun autre son. Cela peut paraître anodin, mais mon univers était limité à cela.”
Pour d’autres descriptions directes de la vie en isolement carcéral, consulter la série “Voices from Solitary” (Voix de l’isolement) de Solitary Watch.
Combien de temps les gens passent-ils en isolement carcéral?
La durée des séjours en isolement varie de quelques jours à plusieurs décennies. Les chiffres précis sont rares. En réponse à une enquête de 2016, les prisons fédérales et d’État ont indiqué que 11 % des personnes qu’elles détenaient en cellules restrictives y étaient depuis trois ans ou plus, et que 5,4 % y étaient depuis six ans ou plus. Il semblerait d’après les données que certaines juridictions pourraient avoir sous-déclaré les durées de séjour.
En Californie en 2011 – avant la série de grèves de la faim et de contestations judiciaires qui ont mené à des réformes – la quasi-totalité des 1100 hommes du SHU de la prison d’État de Pelican Bay étaient en isolement depuis cinq ans ou plus, environ la moitié depuis dix ans ou plus, plus de 200 depuis 15 ans ou plus et 78 depuis 20 ans ou plus. Le groupe d’hommes incarcérés en Louisiane, connu sous le nom d'”Angola Three”, a passé ce qui représente probablement les plus longues périodes d’isolement : 29, 42 et 44 ans.
Quels sont les effets psychologiques de l’isolement carcéral?
À la suite d’entretiens approfondis avec des personnes détenues au SHU de Pelican Bay en 1993, le Dr Stuart Grassian a constaté que l’isolement induit un trouble psychiatrique, qu’il a appelé “syndrome SHU”, caractérisé par une hypersensibilité aux stimuli externes, des hallucinations, des attaques de panique, des déficits cognitifs, des pensées obsessionnelles, de la paranoïa ainsi que de nombreux autres problèmes physiques et psychologiques. Les évaluations psychologiques des hommes en isolement à Pelican Bay ont révélé des taux élevés d’anxiété, de nervosité, de ruminations obsessionnelles, de colère, de fantasmes violents, de cauchemars, de troubles du sommeil, ainsi que des vertiges, des mains transpirantes et des palpitations cardiaques.
Lors d’un témoignage devant le comité de sécurité publique de l’Assemblée de Californie en août 2011, le Dr Craig Haney a évoqué les effets de l’isolement carcéral : “En bref, les détenus de ces unités se plaignent de sentiments chroniques et accablants de tristesse, de désespoir et de dépression. Les taux de suicide dans les unités d’isolement de Californie sont de loin les plus élevés de toutes les unités de logement carcéral du pays. De nombreuses personnes détenues dans les SHU deviennent profondément et inébranlablement paranoïaques, et sont profondément anxieuses et effrayées par les gens (dans les rares occasions où elles sont autorisées à entrer en contact avec eux). Certains commencent à perdre le contrôle de leur santé mentale et décompensent gravement.”
En 2013, le psychiatre médico-légal, le Dr Raymond Patterson, a rapporté que les personnes détenues dans les unités de cellules de sécurité et les unités d’isolement administratif de Californie couraient 33 fois plus de risques de se suicider que quelqu’un dans la population générale du système pénitentiaire. Des études à New York et au Texas ont également révélé des taux de suicide significativement plus élevés en isolement.
Un recours collectif intenté en 2012 contre le Bureau fédéral des prisons et les responsables de la prison supermax ADX de Florence a décrit à quel point les détenus étaient psychologiquement affectés : « Les prisonniers gémissent, crient et frappent interminablement sur les murs de leurs cellules. Certains mutilent leur corps avec des rasoirs, des éclats de verre, des ustensiles d’écriture et tout autre objet qu’ils peuvent obtenir. Certains avalent des lames de rasoir, des coupe-ongles, des pièces de radio et de télévision, du verre brisé et d’autres objets dangereux. D’autres entretiennent des conversations délirantes avec des voix qu’ils entendent dans leur tête, inconscients de la réalité et du danger qu’un tel comportement pourrait représenter pour eux-mêmes et pour quiconque interagit avec eux”.
L’un des plaignants dans le procès, Jack Powers, n’avait aucun antécédent de maladie mentale avant son arrivée en prison, mais a développé de graves problèmes psychologiques et a commencé à s’automutiler après des années d’isolement à l’ADX. Powers est allé jusqu’à se couper le lobe de l’oreille, les parties génitales et le tendon d’Achille et à percer un trou dans son crâne. “L’automutilation”, a déclaré Powers, “a été ma réponse globale à l’enfermement dans l’unité de contrôle ADX pendant plus d’une décennie.”
Pour en savoir plus sur les effets psychologiques de l’isolement carcéral, consultez la fiche d’information de Solitary Watch sur le sujet.
Les personnes atteintes de maladies mentales sont-elles placées en isolement?
Au cours des 30 dernières années, les prisons et les établissements pénitentiaires sont devenus les plus grands centres psychiatriques pour patients hospitalisés du pays. Un rapport de 2014 du “Treatment Advocacy Center” (Centre de défense des soins) a révélé que plus de 350000 personnes atteintes de maladies mentales graves étaient détenues dans des prisons et des maisons de détention américaines en 2012, tandis que 35000 personnes atteintes de maladies mentales graves étaient des patients dans des hôpitaux psychiatriques publics. Cela signifie que le nombre de personnes atteintes de maladie mentale détenues dans les prisons était dix fois plus élevé que le nombre de personnes soignées dans les hôpitaux publics.
Les cellules d’isolement, en particulier, sont désormais utilisées pour parquer des milliers de personnes atteintes de maladie mentale. Dans un rapport de 2003, Human Rights Watch a estimé, sur la base des données officielles disponibles, qu’entre un tiers et la moitié des personnes détenues en isolement souffraient d’une forme de maladie mentale.
La plupart des prisons et des établissements pénitentiaires manquent de personnel qualifié en matière de santé mentale, et le personnel existant est souvent confronté à des restrictions pour fournir un traitement. Dans certains établissements, le traitement des personnes placées à l’isolement consiste en des contrôles de santé mentale hebdomadaires ou mensuels effectués par les fentes dans les portes servant à passer les plateaux repas. Bien que les personnes souffrant préalablement de maladies mentales courent un risque nettement plus élevé d’automutilation et de suicide en isolement, les personnes qui s’automutilent sont parfois punies pour leurs actes par des périodes d’isolement, et les personnes considérées comme suicidaires sont fréquemment placées dans des “cellules lisses”.
L’American Psychiatric Association (Association psychiatrique américaine), la National Commission on Correctional Health Care (Commission nationale sur les soins en milieu carceral), la National Alliance on Mental Illness (l’Alliance nationale pour les maladies mentales) et d’autres organisations professionnelles ont pris position contre le recours à l’isolement pour les personnes atteintes de maladies mentales graves. Les Nations Unies et de nombreuses organisations de défense du droit à la santé soutiennent également une interdiction totale du recours à l’isolement pour les personnes atteintes de maladie mentale.
Quels sont les effets neurologiques et physiques de l’isolement carcéral?
En 2016, lors d’une conférence sur l’isolement carcéral, le Dr Michael J. Zigmond, professeur de neurologie à l’Université de Pittsburgh, a déclaré : “L’isolement dévaste le cerveau. Il n’y a aucun doute là-dessus. Sans air, nous vivons quelques minutes. Sans eau, quelques jours. Sans nutrition, quelques semaines. Sans activité physique, notre vie est réduite de plusieurs années. L’interaction sociale fait partie des éléments de base de la vie.” Lors d’une autre conférence en 2014, le Dr Huda Akil, neuroscientifique à l’Université du Michigan, a expliqué que le cerveau “se ratatine littéralement” sous le stress extrême que subissent les personnes en isolement.
Dans un article de 2016, Dr Brie Williams, directrice du programme de justice pénale et de santé à l’Université de San Francisco, estimait les effets de l’isolement sur la santé insuffisamment documentés, mais a souligné certains risques connus : “Un manque prolongé de lumière du soleil peut provoquer une carence en vitamine D, ce qui expose les personnes âgées au risque de fractures et de chutes, une cause majeure d’hospitalisation et de décès. De plus, l’exercice – même le peu que nous faisons en marchant du canapé à la cuisine et à la chambre à coucher – est crucial pour le maintien de la santé à tout âge. L’exercice a un effet préventif important, et parfois curatif, pour de nombreuses maladies – hypertension, diabète, arthrite, maladies cardiaques, entre autres. Ces maladies sont disproportionnellement fréquentes, à un plus jeune âge, chez les détenus.”
En juin 2018, l’Université de Californie à Santa Cruz a organisé une conférence d’experts mondiaux, au cours de laquelle le Dr Craig Haney a parlé de l’attention croissante portée aux dommages physiques causés par l’isolement. “Être isolé a tendance à rendre les gens déprimés, ce qui n’est pas très bouleversant. Mais le fait d’être isolé ou exclu socialement expose également les gens à un risque nettement plus élevé de tomber physiquement malade et de mourir plus jeune. C’est moins intuitif, mais cela va de pair avec les effets psychologiques négatifs.”
Les enfants sont-ils placés en isolement carcéral?
Des enfants sont placés en isolement dans les systèmes de justice pénale pour mineurs et pour adultes. Bien qu’il n’existe pas de chiffres fiables sur l’application de l’isolement pour les enfants, les données disponibles suggèrent que des centaines et probablement des milliers d’enfants subissent l’isolement chaque année – certains pendant des mois, voire des années.
L'”Office of Juvenile Justice and Delinquency Prevention” (OJJDP – Bureau pour les droits des mineurs et la prévention de la délinquance) a constaté que 45567 enfants de moins de 18 ans étaient détenus dans des établissements de détention pour mineurs en octobre 2016. En 2014, 47 % des centres de détention pour mineurs et 46 % des écoles professionnelles ont déclaré utiliser l’isolement comme méthode de contrôle disciplinaire.
Les données de l’OJJDP de 2014 et 2016 ont révélé que plus de 5000 enfants étaient détenus dans des prisons et des établissements pénitentiaires pour adultes. Malgré les interdictions dans une poignée d’États, la plupart de ces établissements continuent de placer les enfants à l’isolement pour punir leur comportement ou les isoler des adultes.
Dans le Wisconsin, un procès en 2017 a révélé que quinze à vingt pour cent des enfants détenus dans les établissements correctionnels pour mineurs “Lincoln Hills School for Boys” et “Copper Lake School for Girls” étaient régulièrement confrontés à l’isolement – souvent pendant des périodes de 30 à 60 jours. Dans l’une des affaires, Sydni Briggs a reçu 18,9 millions de dollars de dédommagement après avoir subi des lésions cérébrales graves et permanentes à cause d’une tentative de suicide à l’âge de 16 ans à la suite d’une période d’isolement. Les conditions étaient si extrêmes pour les enfants qu’en 2017, un juge de district en chef des États-Unis a déclaré : « Ted Kaczynski [connu sous le nom d’Unabomber, actuellement détenu dans la prison fédérale supermax du Colorado] subit un confinement moins restrictif que les jeunes de Lincoln Hills. Sous la pression des avocats, l’État a accepté de fermer les installations d’ici 2021.
Les enfants sont souvent détenus à l’isolement dans des prisons pour adultes avant même d’avoir été condamnés pour un crime, simplement parce qu’il n’y a pas d’autre endroit où les placer. En Alaska, un adolescent de seize ans a passé 500 jours à l’isolement en attendant son procès, et un autre, dans le Tennessee, y a passé près de deux ans. Kalief Browder, accusé à tort d’avoir volé un sac à dos, a mis fin à ses jours en 2015 après avoir présenté des signes de stress post-traumatique après avoir été détenu à l’isolement pendant deux de ses trois années à Rikers Island, à New York, dans l’attente de son procès.
En Floride, Ian Manuel a passé quinze ans à l’isolement dans une prison pour adultes pour un crime qu’il a commis à l’âge de treize ans. Il se coupait souvent et a tenté de se suicider au moins cinq fois. À la prison d’État du Montana, Raistlen Katka a été placée en isolement à l’âge de dix-sept ans et n’a reçu aucun traitement malgré ses automutilations et ses tentatives de suicide. Katka était connu pour avoir “tenté à deux reprises de se suicider en se mordant le poignet pour se percer une veine” avant d’être retiré de l’isolement.
L’expérience de l’isolement est particulièrement dommageable pour les jeunes, car ils sont encore en pleine adolescence. Selon la “Campaign for Youth Justice” (CFYJ Campagne pour les droits des jeunes), les données montrent que pour les enfants, les risques de suicide sont 36 fois plus élevés dans une prison pour adultes que dans un établissement de détention pour mineurs et dix-neuf fois plus élevés en isolement que parmi les autres détenus. Dans le système judiciaire pour mineurs, environ la moitié des suicides ont lieu lorsqu’un jeune est détenu en “chambre d’isolement”.
Quel effet l’isolement carcéral a-t-il sur la vie après la prison?
Malgré la tradition de peines sévères aux États-Unis, la plupart des personnes incarcérées finissent par sortir de prison et retourner dans leur communauté. Pourtant, l’impact de l’isolement carcéral sur la récidive et la sécurité publique a reçu peu d’attention.
En 2015, l'”American Civil Liberties Union of Texas” (Le syndicat américain pour les libertés civiques au Texas) et le “Texas Civil Rights Project” (Projet de droits civiques au Texas) ont signalé que les personnes ayant subi l’isolement étaient plus susceptibles de retourner en prison que les autres prisonniers. Parmi les personnes libérées des prisons du Texas en 2006, 48,8 % ont été arrêtées à nouveau dans les trois ans. Pour les personnes libérées des unités d’isolement, 60,84 % ont été réarrêtées dans le même laps de temps. Le rapport 2006 de la “Commission on Safety and Abuse in America’s Prisons” (Commission sur la sécurité et les abus dans les prisons américaines) a également établi que l’isolement carcéral était lié à des taux de récidive supérieurs à la moyenne, en particulier si les personnes sortaient directement de l’isolement.
Les histoires racontées par les survivants de l’isolement et leurs familles suggèrent que les dommages durables causés par l’isolement ne font que rendre la réinsertion encore plus difficile qu’elle n’est déjà.
Un homme, Nikko Jenkins, a assassiné quatre personnes quelques semaines après avoir été directement libéré de deux ans et demi d’isolement à l’établissement correctionnel d’État de Tecumseh, dans le Nebraska, en 2013. Lors du procès, Nikko Jenkins a déclaré que des voix de l’ancien dieu égyptien Ahpophis lui ordonnaient de les tuer et il a reproché au service correctionnel de l’avoir libéré après avoir rejeté ses 38 demandes de traitement de santé mentale, ses six demandes d’hospitalisation psychiatrique et ses trois demandes d’internement civil, pendant son séjour en isolement.
Combien coûte l’isolement carcéral?
À l’échelle nationale, on estime que le maintien d’une personne en isolement pendant un an coûte 75000 dollars aux contribuables, soit environ trois fois plus que l’hébergement d’une personne dans une prison ordinaire de sécurité maximale.
En outre, l’isolement carcéral a été associé à des coûts de construction par cellule beaucoup plus élevés. Par exemple, la construction du centre correctionnel de Tamms, dans l’Illinois, aujourd’hui fermé, a coûté 73 millions de dollars en 1998 et avait été prévu pour accueillir 500 personnes, soit un prix d’environ 146000 dollars par lit.
Solitary Watch a publié une fiche d’information sur cette question avec des données plus spécifiques sur différents États.
Comment les tribunaux ont-ils réglementé l’isolement carcéral?
En 1890, le juge de la Cour suprême Samuel Miller condamnait cette pratique : “Un nombre considérable de prisonniers tombent, après un isolement, même court, dans un état de semi-démence, duquel il est presque impossible de les sortir, d’autres deviennent des fous violents, d’autres encore se suicident, et ceux qui ont le mieux résisté à l’épreuve ne se sont généralement pas reconstruits et, dans la plupart des cas, n’ont pas retrouvé une activité mentale suffisante pour rendre service à la communauté par la suite”.
En 1995, le juge fédéral Thelton Henderson écrivait que l’isolement carcéral “pourrait bien se situer à la limite de ce qui est humainement tolérable”, et que pour les personnes diagnostiquées comme souffrant de troubles mentaux, “les placer [en isolement] équivaudrait à placer un asthmatique dans un endroit peu aéré”. – Madrid v. Gomez, 889 F. Supp. 1146, 1265 (N.D. Cal. 1995).
Ce sentiment est partagé par le juge fédéral William Wayne Justice qui, en 2001, écrivait que : ” Les unités [d’isolement] sont des incubateurs virtuels de psychose pour des détenus qui par ailleurs sont en bonne santé, et exacerbent la maladie chez ceux qui souffrent déjà d’infirmités mentales “. – Ruiz v Johnson, 154 F.Supp.2d 975 (S.D.Tex.2001).
Si les tribunaux ont toujours indiqué que les personnes incarcérées présentant un trouble psychiatrique doivent être traitées différemment, ce n’est généralement pas le cas pour les personnes envoyées en isolement. Par exemple, si l’arrêt Gomez a prévu des protections pour les personnes souffrant de troubles mentaux, il a cependant été établi que pour la personne moyenne, l’isolement ne relevait pas du huitième amendement concernant les “peines cruelles et inhabituelles”. Dans l’affaire Sandin v. Conner, il a été jugé que l’isolement de courte durée “ne constituait pas une dérogation significative aux conditions de base de la condamnation [de la personne]”.
Pour une discussion relative aux interprétations par les tribunaux des Huitième et Quatorzième Amendements concernant l’isolement carcéral, consultez notre fiche d’information sur la question.
Comment les autres pays utilisent-ils l’isolement carcéral?
Parmi les nations occidentales industrialisées, les États-Unis sont le seul pays à faire un usage intensif de l’isolement carcéral de longue durée. Dans la plupart des pays européens, le nombre de personnes maintenues en isolement au-delà de quelques jours ou semaines se compte en centaines, plutôt qu’en dizaines de milliers. Les périodes d’isolement prolongées sont considérées par la plupart comme une violation des droits humains, même les quelques personnes incarcérées qui sont séparées des autres pour des raisons de sécurité bénéficient d’activités et de contacts pour réduire leur isolement et leur privation sensorielle.
Le Royaume-Uni, qui a l’un des taux d’incarcération les plus élevés d’Europe occidentale avec environ 92500 personnes en prison, ne compte probablement pas plus de 50 personnes en isolement prolongé à un moment donné. En juin 2015, il a été signalé que dans toutes les prisons de sécurité maximale du Royaume-Uni, seules 24 personnes avaient été placées à l’isolement pendant plus de six mois. Les autres sont généralement placées à l’isolement pour une durée n’excédant pas quelques jours. Un solide système de surveillance nationale exige que lorsqu’une personne est maintenue à l’isolement pendant 72 heures ou plus, la prison doit en informer le ministère de la Justice ainsi qu’un conseil de surveillance local et indépendant. En dehors des États-Unis, le recours généralisé à l’isolement carcéral prolongé a lieu principalement dans les pays comptant un grand nombre de prisonniers politiques, notamment l’Iran et Israël.
Que disent les accords internationaux sur l’isolement carcéral?
En octobre 2011, Juan Méndez, rapporteur spécial de l’ONU sur la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants, a appelé les pays membres de l’ONU à interdire en quasi-totalité l’isolement carcéral dans les prisons, en invoquant les graves dommages mentaux et physiques qu’il provoque, une pratique qui s’apparente souvent à de la torture. Son rapport, qui critique le recours systématique à l’isolement supermax aux États-Unis, recommande de mettre fin à “l’isolement prolongé ou indéfini”, limité à quinze jours, et d’interdire totalement le recours à l’isolement pour les enfants ou les personnes atteintes de maladies mentales.
En décembre 2015, les Nations unies ont codifié la plupart des recommandations de Méndez en adoptant un “Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus”, généralement connu sous le nom de “Règles Mandela”. Auparavant, l’organe directeur de la Convention des Nations Unies contre la torture, que les États-Unis ont ratifiée en 1994, avait recommandé d’abolir la pratique de l’isolement carcéral. En 1992, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a estimé que l’isolement prolongé pouvait constituer une violation des droits humains internationaux. Le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a également demandé instamment que l’on mette fin à l’isolement des mineurs.
Quelles réformes de l’isolement carcéral ont eu lieu dans les prisons et les établissements pénitentiaires américains?
Ces dix dernières années, un mouvement s’est développé au niveau national et local pour abolir l’isolement carcéral de longue durée. Grâce aux procès, à la législation et à la pression populaire, les défenseurs ont commencé à obtenir des réformes significatives dans certains systèmes pénitentiaires, tout en sensibilisant le public aux préjudices causés par l’isolement et à l’existence d’alternatives sûres et humaines.
En 2016, le président Barack Obama a dénoncé le recours excessif à l’isolement et a établi un plan visant à réduire le recours à l’isolement dans le système carcéral fédéral. Cependant, bon nombre de ces réformes n’avaient pas encore été mises en place lorsque Donald Trump a pris ses fonctions.
Les progrès se sont néanmoins poursuivis au niveau de l’État et au niveau local. À l’automne 2017, le Colorado est devenu le premier État à annoncer qu’il avait pratiquement éliminé l’isolement prolongé et appliqué les normes définies par les règles Mandela. Le Colorado a remplacé l’isolement prolongé par des alternatives comprenant des programmes de diminution progressive et la création d’unités de santé mentale. Le Dakota du Nord a également mis en place des alternatives plus humaines à l’isolement après une visite de son directeur des services correctionnels aux prisons norvégiennes. L’État de Washington a utilisé des programmes innovants pour réduire considérablement son recours à l’isolement. Sous la pression de poursuites judiciaires, la Californie et l’État de New York ont également réduit de manière significative leur population en isolement, et plusieurs autres États ont travaillé avec le projet “Safe Alternatives to Segregation” (alternatives sûres à l’isolement) du Vera Institute of Justice pour réduire leur recours à l’isolement.
Où puis-je trouver plus d’informations sur l’isolement carcéral – et les efforts pour y mettre fin?
Assurez-vous de vous inscrire pour recevoir des mises à jour de Solitary Watch: solitarywatch.org. Les groupes de pression nationaux suivants œuvrent également pour mettre fin à l’isolement carcéral de longue durée :
American Civil Liberties Union, National Prison Project, Stop Solitary Campaign : aclu.org/issues/prisoners-rights/solitary-confinement/
National Religious Campaign Against Torture, Ending Torture in U.S. Prisons : nrcat.org/torture-in-us-prisons
Center for Children’s Law and Policy, Stop Solitary for Kids Campaign : stopsolitaryforkids.org/
Ces groupes et d’autres font également partie d’une coalition nationale qui soutient les efforts des États et des collectivités locales pour mettre fin à l’isolement. Visitez le site Unlock the Box : www.unlocktheboxcampaign.org.
FAQ par Valerie Kiebala et Sal Rodriguez. © 2018, dernière mise à jour en décembre 2018. Traduit en français par Maria Lagana. Veuillez citer Solitary Watch et les sources originales lorsque vous citez ce document.